
C’est avec tristesse que j’ai appris la
fermeture du « turenne », le cinéma porno de Charleroi.
J’en garde des souvenirs assez délirants. Il y a d’abord l’entrée un peu difficile. Je suis parfois passé devant sans oser y pénétrer. Ensuite il fallait passer à la caisse et croiser les vieux messieurs attablés dans l’entrée, ici pas d’hôtesses d’accueil avenantes. Dans le noir, je cherchais une place en faisant bien gaffe de ne pas m’asseoir sur un spectateur. Il fallait aussi faire gaffe de ne pas se poser sur un siège en skaï collant. Les films étaient du grand n’importe quoi – achetés sans doute au rabais, ils n’avaient ni queue ni tête et le
doublage était très approximatif. Sous l’antique horloge Pontiac qui indiquait l’heure exacte depuis je ne sais combien de temps, il y avait la porte battante des toilettes, lieu de cruising glauque à souhait où on s’enfonçait sous la lumière crue d’un néon indiscret. Les toilettes fermaient mais un grand trou entre les parois permettaient d’y insérer divers objets personnels. Il y avait encore un peu plus loin un accès à une cave sombre qui virait à l’obscurité complète quand on tournait à droite. Y descendre, c’était de l’adrénaline pure, fruit d’un mélange de peur et d’excitation. L’antique réserve à charbon sentait le sperme, le tabac, la bière, la sueur et le parfum bon marché mais certains n’hésitaient pas à s’y agenouiller devant d’improbables
objet-dard. J’y ai écrasé quelques pieds (enfin je pense que c’étaient des pieds). La peur a toujours eu le dessus et je n’y suis jamais resté, préférant remonter à la recherche d’un autre siège.
Dans ce cinéma, j’ai rencontré des connaissances (même un membre de ma famille) et j’ai parfois même élargi le cercle de mes amis. Je fus une fois surpris par un entracte. D’une fois toutes les lumières se sont allumées et une jolie petite musique s’est fait entendre. Une ouvreuse allait-elle passer avec quelques friandises à se mettre sous la dent ? Non bien sûr, mais la gêne était présente dans tout le cinéma et beaucoup avait l’air ahuri, le pantalon tirebouchonné, comme pris la main dans le sac.
Ma dernière visite fut particulièrement désagréable, un ivrogne ayant vomi ses frites mayo à deux rangées de moi. Là je su que c’était trop, ma dernière séance en quelque sorte.
Ah j’oubliais, la sortie du ciné était délicate : les yeux encore sous l’effet de la salle obscure, il fallait, un peu déséquilibré, sortir d’un jet et se répandre dans la rue turenne qui absorbait le flux rapide des véhicules quittant la cité dans une course folle qui se terminait sans doute dans un mouchoir de poche.
A que c’est triste la fermeture de ce lieu de cul-te.
Je déteste les promoteurs immobiliers, les entractes sans e
squimaux à sucer et les vieux messieurs travestis en
improbables hôtesses d’accueil.